Trois éléments essentiels font l’école : l’administratif, le pédagogique et le politique (politique éducative). Le Bénin excelle dans l’administratif : tout ce qui doit être prévu pour débuter l’année scolaire. L’aspect politique (ou planification) aide aussi à préfigurer l’avenir, notamment à travers une vision conséquente. Toutefois, son caractère rébarbatif et élitiste rebute les acteurs de l’éducation à divers niveaux et décourage l’action efficace. Quant au pédagogique auquel je vais me consacrer, il est devenu lourd, complexe et souvent peu cohérent entre les sous-secteurs. On dirait un chef de famille qui bâtit les différentes parties de sa maison en les confiant à plusieurs maçons qui communiquent peu. Car, chaque sous-secteur s’occupe de lui-même. Sans parler du recours à des architectes internationaux fort diplômés dont les plans auraient pu s’adapter aux lointaines contrées neigeuses mais qui s’appliquent mal sous les tropiques. Pourtant, nous dit-on, tout le secteur est à l’heure de l’Approche Par Compétence ou APC !
Lorsque notre première autorité arriva au pouvoir en 2016 et souligna dans un aphorisme célèbre que notre pays manquait de compétences, le lever de bouclier fut retentissant. J’étais alors fort serein, sachant que notre classe de pédagogues, très pédante qui m’avait appris à me taire et à diviniser l’APC, réagirait en s’écriant : « chère Autorité, nous avions la compétence et nous l’enseignions à la jeune génération depuis un long moment. » Mais non : Rien. Ceux qui étaient parvenus à faire taire parents, enseignants et même la totalité des sachants avec des démonstrations pleines de paradoxe et d’absurde s’étaient tus.
En définitive, deux choses semblent aujourd’hui entre parenthèses au Bénin : la démocratie qui n’arrive plus à nous inspirer des trémolos dans la voix et des envolées lyriques, mais aussi l’APC qui meurt graduellement travers les innombrables remédiations et la littérature surabondante et inutile de cahiers d’activités quasi abscons.
La vision était pourtant bonne et l’entreprise louable. Mais, pour dire vrai, on s’est perdu en chemin. L’APC soutenait qu’il fallait dépasser la vision du magister dixit où le maitre omnipotent et omniscient était au centre du processus cognitif pour y placer l’enfant. Ceci signifie que, maintenant c’est l’enfant qui est au centre de l’apprentissage et il lui appartient de découvrir et de parvenir à obtenir non pas seulement un savoir, mais des compétences.
Ah ! Que nous avions souffert de ces nouveaux programmes qui ont soi-disant installé nos enfants dans le fauteuil du conducteur tout en laissant les parents au bord de la route tandis que les enseignants, comme des apprentis de taxi brousse, s’agrippaient vaille que vaille à une science fuyante. En définitive, personne ne comprenait rien, sauf quelques initiés repus. Ils devraient défendre leurs opulents émoluments qui leur avaient permis de construire le quartier « nouveaux programmes » dans notre capitale.
Après la réprobation unanime des parents qui se sont tus, on est arrivé à constater que si quelque chose déraillait, ce n’est jamais l’inadaptation de l’APC à notre milieu mais c’était les enseignants qui ne suivaient pas, les élèves qui s’attardaient ne comprenant rien en français et en maths. Pire ou mieux encore, les gourous belges et surtout canadiens qui ont contribué à créer cet édifice, trituré à travers les innombrables remédiations, maltraité par les compromissions nécessaires comme l’introduction de la dictée et la syllabation, s’insurgent et trouvent qu’on n’a pas suivi l’orthodoxie !
Exactement comme si nous nous retrouvions dans ces églises révélées avec les pasteurs condescendants et matois : seuls les élus qui ont la foi véritable et pour qui ces grands hommes ont intercédé peuvent aller au paradis, c’est-à-dire comprendre.
La vérité est ailleurs : l’APC a contribué à saper l’influence et la compétence de nos enseignants avec les innommables et pernicieux cahiers d’activités qui ont rendu quelques-uns riches matériellement et beaucoup d’autres pauvres en esprit. L’une des solutions devraient consister à alléger les curricula tout en donnant de la cohérence entre les sous-secteurs. Il faudrait enfin une pédagogie contextualisée qui fait attention à notre géographie et notre histoire ; à notre environnement pour apprendre avec les artisans et les paysans à tirer le meilleur de nous-mêmes : c’est cela la compétence.
Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe