Lors du Conseil des ministres du mercredi 15 avril 2020, le gouvernement du Bénin a décidé de confier la gestion de certains établissements publics et des enseignants à l’Agence Nationale pour les Prestations aux Établissements Scolaires Publics (ANAPES). Educ’Action a tendu son micro à deux syndicalistes de l’école pour recueillir leur avis sur cette réforme qui suscite moult réactions dans le rang des acteurs de l’éducation.
Pierrot Akodjenou, enseignant de Français au CEG Les Cocotiers dans le département de l’Ouémé et Porte-parole du Collectif National des Aspirants du Bénin
« Il faut admettre que la gestion déléguée des enseignants et de l’école à cette agence pourrait améliorer quelque peu les résultats »
Cette réforme, pour ma part, tient de la privatisation de l’école béninoise. La dénomination de l’agence qui va s’en occuper dès l’année prochaine en dit long déjà. La création d’une telle agence dénote le désengagement de l’Etat de la gestion des établissements Scolaires Publiques. C’est tout simplement une incapacité déclinée en réforme afin de saccager les emplois et brimer davantage les droits des employés. Il est vrai que l’ANAPES, en tant que structure privée, voudra à tout prix donner un meilleur rendement certes, mais nul ne connait les principes ou conditions auxquelles elle soumettra les enseignants dits «non de l’État» l’année prochaine. Si l’Etat lui-même, en employant ses citoyens, leur rend précaires les conditions de vie et de travail, ce n’est pas le privé qui les améliorera. Par conséquent, l’ANAPES (Agence Nationale pour les Prestations aux Établissements Scolaires Publics) est un reflet, un prototype en téléchargement, sinon déjà conçu, de l’Agence National pour la Promotion de l’Emploi (ANPE) qui, jusque-là ne parvient pas à combler les attentes de pré-insérés dont on lui a confié la gestion. Tout le problème est là ! C’est un retournement de situation encore plus dangereuse que la précédente qui s’annonce et ce serait dommage pour l’école béninoise. Il faut admettre que la gestion déléguée des enseignants et de l’école à cette agence pourrait améliorer quelque peu les résultats en ce sens que les pressions et l’exploitation des compétences extraites de la base de données en (en souffrance pour l’heure) sont des facteurs déterminants dans la production de rendements meilleurs. Par contre, cette réforme ne présage d’aucun bon traitement pour cette catégorie d’enseignants car les conditions de de vie et de travail déjà précaires de ces derniers risques d’être encore plus dégradantes et malheureusement chiantes.
Alexandre Adjinan, enseignant du secondaire et Président de la Commission Nationale des Jeunes de la Confédération des Organisations Syndicales Indépendantes du Bénin (COSI)
« Le gouvernement aura du mal à payer les agents à la retraite et ça va poser un problème social »
La décision du gouvernement n’est pas bien venue puisque ce diagnostic est mal posé. Les conséquences de cette décision sont nombreuses et je pense que l’école va sombrer davantage parce que l’homme n’est pas mis au centre des préoccupations exprimées et des objectifs visés. Le recrutement des enseignants agents de l’Etat est ainsi gelé parce que le gouvernement va privatiser l’école, mais son souci, à la longue, ne sera plus le recrutement des enseignants qui vont être des agents permanents de l’Etat, alors que nous sommes dans un pays où nous avons la retraite par solidarité. Le gouvernement aura du mal à payer les agents à la retraite et ça va poser un problème social. Face à tout ce qui précède, nous voudrions faire quelques propositions au gouvernement puisque l’option qu’il a prise ne va nullement améliorer la qualité du système éducatif et les résultats de fin d’année. Pour l’amélioration de la qualité de l’enseignement, nous proposons de recruter un nombre important d’enseignants pour couvrir les besoins au niveau de la maternelle, du primaire et du secondaire et pourquoi pas du supérieur ; construire les infrastructures d’accueil au niveau des établissements publics ; doter les établissements publics de bibliothèques et de laboratoires ; renforcer le corps de contrôle à travers le recrutement massif et la formation d’inspecteurs et de conseillers pédagogiques et faire en sorte que chaque enseignant(e) reçoive la visite d’un CP ou d’un Inspecteur au moins une fois par an ; renforcer l’encadrement des apprenants des classes d’examen des établissements publics en subventionnant des travaux dirigés à organiser à leur profit ; éviter de maltraiter, d’humilier et de clochardiser les enseignants des différents ordres. Il faut plutôt que le gouvernement soit à leur écoute, reste sensible à leurs préoccupations et règle leurs problèmes de carrière.
Edouard KATCHIKPE