Les apprenants bégayeurs sont légion dans le système éducatif formel. A l’école comme dans la rue, ils sont victimes d’écart de langage et des comportements déplacés venant, pour la plupart, de leurs camarades de classe. Ce qui émousse souvent leur ardeur et leur présence active au cours des activités pédagogiques. Votre journal Educ’Action fait une incursion dans l’environnement de cette catégorie d’apprenants et la pédagogie à elle appliquée pour une réussite scolaire. Enquête !
Mercredi 14 octobre 2020. Il est 8 heures au Complexe Scolaire Godomey-Centre, groupe A. Nyrade Houndjo, enseignante titulaire de la classe du CE2 procède à l’appel de ses apprenants avec à l’appui, le cahier ‘’registre d’appel journalier’’. A chaque appel du nom d’un apprenant, ce dernier répond ‘’ présent ’’. Tour à tour, les apprenants ont répondu ‘’présents’’. « Prrprrprésente ! », lâche, à son tour et au prix de l’effort, Nélia (prénom attribué) pour confirmer sa présence en classe. Agée de 8ans, Nélia bégaie, présentant ainsi des difficultés à s’exprimer à cause de son handicap. Approchée, de façon isolée, pour savoir comment elle se sent lorsque la maîtresse lui donne la parole à la faveur des séquences pédagogiques, l’écolière n’a pas pu réagir. Ses yeux ont commencé à balayer du regard la cour de l’école, notamment les arbres. « Elle éprouve des difficultés à exprimer ses pensées et ses idées sur un sujet donné. Mais elle ne fait pas de gestes violents tendant à gêner ses camarades. J’avoue qu’elle prend beaucoup de temps avant de parler. Mais je m’y adapte », a fait savoir Nyrade Houndjo, maîtresse de la classe de CE2 au CS Godomey-Centre A, renseignant ainsi sur les manifestations du handicap de son apprenante. Des apprenantes comme Nélia sont nombreuses dans les établissements publics comme privés des différents sous-ordres, et sont, pour la plupart, vues d’une autre manière par leurs camarades de classe. « Avec ces cas d’apprenants, c’est un peu difficile. Quand on les interroge, il faut avoir la patience afin qu’ils puissent répondre. Si on ne sait pas au début, on s’énerve alors que le problème n’est pas de s’énerver », dira Olga Lokossou, directrice au CS Godomey-Centre groupe A pour insister sur la patience qui doit être celle des enseignants qui ont à charge ces types d’apprenants. Cependant, des signes permettent de se rendre à l’évidence de ces cas de handicap en situation de classe.
Des signes d’alerte du bégaiement à la non-implication de l’apprenant…
Trouble de la fluence de la parole, blocages, répétitions, allongements, coupures suivies de l’explosion de la parole avec ou sans syncinésie (Ndr : c’est une contraction musculaire involontaire apparaissant alors qu’un autre mouvement volontaire ou reflexe est effectué). Ce sont les signes d’alerte constatés par les reporters de Educ’Action sur le terrain et qui sont identiques chez la majorité des apprenants vivant avec ce handicap. « A la maternelle où on peut déjà repérer les signes d’alerte, on va voir un enfant qui va répéter tout doucement ce qu’il veut dire. Un enfant qui parle peu ou un enfant qui veut parler mais qui fixe longuement l’interlocuteur avant de pouvoir sortir le mot. Là encore, on voit que l’enfant qui est à la maternelle n’est pas encore dans une pression de l’éducation scolaire. Mais à partir de CE1, on voit le silence, l’allongement, la prise explosive de la parole, les répétitions. Il cligne des yeux, fait des secousses répétées, tape la table de son bras, tape le sol avec son pied. Ce sont des gestes qui viennent donner un coup de pousse à la sortie de la parole », a détaillé, pêle-mêle, Finagnon Djossou, orthophoniste, allumant les projecteurs sur les signes pouvant permettre aux acteurs de l’école de reconnaître les élèves bègues. Sur 08 apprenants bégayeurs de CE1 d’une école privée du département du Couffo approchés pour répéter le mot ‘’portail’’, 6 parmi eux ont eu du mal à produire le son ‘’ Por’’ au moment où 2 ont gardé le silence. « Les sons difficiles à produire chez une personne qui bégaie sont variés. Mais une étude récente a montré que le taux de diffluence est plus élevé sur les sons occlusifs. Pour parler de la production des sons, il faut parler des gestes articulateurs qui viennent décrire la manière dont il faut produire le son. Par exemple, si je veux dire ‘’Por’’, il faut que je joigne mes deux lèvres. Chez la personne qui bégaie, le ‘’Por ’’ n’est pas impossible à dire, mais il n’est pas spontané. Il vient en coup de lumière, il vient et il part. Ça fait qu’en suivant la personne, nous voyons qu’elle répète ce même son. Ce sont les sons occlusifs. C’est qu’il faut joindre deux parties de la bouche », a expliqué avec des gestes à l’appui, Finagnon Djossou, orthophoniste pour informer sur les sons pénibles à produire par les apprenants qui souffrent du bégaiement. Eprouvant ainsi des incapacités d’expression de pensées et d’idées sur des faits en situation d’apprentissage, les élèves bègues sont souvent laissés sur le carreau en termes d’implication dans les séquences pédagogiques. « Il faut préciser que compte tenu de leurs difficultés à exprimer leurs idées et pensées, certains enseignants se passent d’eux dans l’optique d’éviter de perdre le temps, ce qui n’est pas une bonne pratique », déplore Joseph Kponou, docteur en sciences de l’éducation. Il poursuit en affirmant que la prise de parole de ces apprenants est une occasion pour les camarades de rire, de se moquer des difficultés qu’ils éprouvent à s’exprimer facilement comme eux. « J’ai instauré le principe que personne ne se moque de son camarade. Donc, elle sait que peu importe ce qu’elle dira, personne n’osera se moquer d’elle. Dès lors, Je n’ai plus remarqué la moquerie. J’essaie de lui donner la parole souvent afin qu’elle participe au cours », renseigne la maîtresse Nyrade Houndjo pour montrer son professionnalisme et sa méthode de travail en classe, notamment avec son apprenante bègue. Néanmoins, des méthodes plus adéquates doivent être utilisées par les enseignants aux fins de permettre à cette catégorie d’apprenants de réussir sans anicroches durant leurs cursus scolaires.
De la pédagogie à adopter en situation de classe…
L’enseignant, ayant dans sa classe un apprenant bègue, doit installer un climat de confiance et faire preuve de patience, d’attention, d’écoute, de discernement pour mieux le suivre. « Lors des activités pédagogiques, il revient à l’enseignant de prendre du recul face à ces cas d’élèves. L’enseignant doit vraiment faire recours à la pédagogie active individualisée. Cela suppose qu’il doit être patient, développer l’écoute attentive vis-à-vis de cet apprenant pour pouvoir l’aider dans ses difficultés à exprimer aisément ses pensées et idées sur un fait. Il doit empêcher ses camarades de classe de rire ou de se moquer d’elle ou de lui pendant qu’il/elle éprouve de sérieuses difficultés dues à son handicap », a conseillé tel un pédagogue Joseph Kponou, directeur de l’Ecole Maternelle Publique Houègbo-gare. Ces types d’apprenants, selon un recoupement des propos, sont souvent faciles à la colère du fait qu’ils n’arrivent pas à vite accoucher leurs idées. « Il s’agit dans ce cas, comme c’est d’ailleurs souhaité, de faire recours à une pédagogie active individualisée. Il y a lieu de faire preuve d’un véritable facilitateur en encourageant l’apprenant qui se trouve dans cette condition de handicap à maîtriser ses humeurs et émotions pour ne pas tomber en colère à cause de ses difficultés», a souhaité le directeur de l’EMP, Houègbo-gare, orientant ainsi sur la pédagogie à appliquer lors d’une éventuelle colère de l’apprenant liée à sa lenteur dans la réponse. Par ailleurs, il souligne en affirmant qu’il ne revient pas à l’enseignant et aux camarades de compatir à sa situation pour lui éviter de se voir différent d’eux et de se faire une mauvaise perception de sa personnalité. Abondant dans le même sens, Finagnon Djossou, l’orthophoniste, renchérit : « il faut laisser un peu plus de temps à cet apprenant. Tout le monde sait que sa parole n’est pas fluente comme c’est visiblement le cas des autres. Il faut également éviter de lui prêter des idées, de parler à sa place quand l’idée ne vient pas. Mais on peut lui passer le mot. Si on remarque par exemple que l’apprenant veut dire ‘’coaguler’’et que le maître a compris, il peut lui demander s’il veut dire coaguler. Si c’est ça, l’apprenant va dire oui, coaguler et il va continuer. Il ne faut pas avoir de l’indifférence à ce qu’il dit. Puisqu’on sait qu’il bégaie, quand il prend la parole, on n’accorde pas d’importance à sa prise de parole. On considère qu’il n’a rien de bon à dire. Ce n’est pas bon ». Pour Olga Lokossou, directrice au CS Godomey-Centre A, l’essentiel, pour l’enseignant, est de connaître l’apprenant dont il a la responsabilité, de l’intéresser, de ne pas le laisser aux dépens des autres. « Et c’est ce que je fais, directrice », semble répondre Nyrade Houndjo, maîtresse de CE2. « Connaissant son handicap, je prends mes dispositions. Elle arrive à faire la lecture facilement. Donc, quand je tiens à ce qu’elle parle pour cette leçon, je la désigne pour lire quelque chose rapidement et les questions, je fais recours à d’autres camarades pour avancer dans le cours », a-t-elle expliqué, l’air sérieux et engagé. En outre, le soutien et l’accompagnement de ces genres d’élèves ne sont pas seulement la tâche, ni l’apanage des enseignants à l’école, mais également des parents d’élèves et des orthophonistes pour la rééducation, voire la réussite de l’apprenant.
De l’accompagnement des parents et de l’orthophoniste…
Existant depuis longtemps, le bégaiement est souvent traité à la maison. Du moins, les apprenants vivant avec ce handicap bénéficient souvent des produits issus de la médecine traditionnelle ignorant ainsi l’importance et la place de l’orthophoniste. « Il y avait des méthodes locales que les gens utilisent pour accompagner les enfants. On voit que ce sont des massages psychologiques. Ce sont des méthodes pour soutenir les enfants qui sont dans cette situation de bégaiement. Mais de nos jours, puisqu’il y a l’orthophoniste, le spécialiste qui prend en charge les troubles du langage et de la communication, il serait idéal d’accompagner l’enfant vers lui. Si le parent ne connaît pas d’orthophoniste à proximité, c’est toujours bon d’informer le médecin le plus proche. Celui-ci pourra les orienter vers l’orthophoniste. Mais il ne faut pas garder une personne qui bégaie à la maison », a suggéré l’orthophoniste Finagnon Djossou avant de préciser qu’on peut rencontrer des bégaiements neurologiques qui nécessitent un traitement médicamenteux de concert avec le neurologue. Du reste, certaines étapes sont à prendre au sérieux par l’orthophoniste en ce qui concerne la prise en charge d’un apprenant bègue. Voir le patient, l’évaluer, réduire les désordres de cette fluence, le rééduquer, l’accompagner dans son environnement immédiat, c’est-à-dire son proche entourage (les parents, les enseignants et les camarades) sont quelques-unes des étapes recueillies sur le terrain lors de notre enquête. « L’orthophoniste fait la sensibilisation et l’accompagnement de l’environnement du patient. Il aura à sensibiliser et à donner des méthodes comportementales aux maîtres, aux parents. Il aura à former l’enseignant sur des attitudes qu’il doit adopter non pas pour s’imposer à lui, mais pour l’aider à être à l’aise dans le travail. Dès lors qu’on leur donne des méthodes d’accompagnement, il arrive à mieux encadrer cet apprenant », a affirmé l’orthophoniste, Finagnon Djossou avant de souligner qu’elle a reçu au plus 05 cas d’apprenants au cours de l’année scolaire 2019-2020. Elle poursuit par ailleurs qu’il doit y avoir une bonne collaboration entre l’enseignant et l’orthophoniste dans le cadre du traitement du bégaiement de l’apprenant. Car, souligne-t-elle, bégayer n’est pas synonyme de déficit intellectuel.
Enock GUIDJIME