Accès à l’information publique au Bénin : Une disposition démocratique noyée par l’absence et la non-vulgarisation des textes - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde
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Accès à l’information publique au Bénin : Une disposition démocratique noyée par l’absence et la non-vulgarisation des textes

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Si la Constitution et les lois sont la tête de la démocratie, la justice son cœur, l’Exécutif les bras et les jambes, la presse en est le poumon et la liberté d’expression, l’oxygène qui fait respirer tout le corps. C’est grâce à la liberté de s’exprimer et de penser que chaque acteur d’institution démocratique a la capacité de dire haut et fort ce qu’il pense et de prendre les décisions qu’il estime utiles pour le bon fonctionnement de la démocratie, selon sa parcelle de pouvoir. C’est aussi grâce au travail de la presse que le peuple, le citoyen lambda est informé de ce que fait le détenteur d’une quelconque parcelle de pouvoir démocratique. Ce travail de la presse est parfois mis à mal par le devoir de réserve brandi çà et là par des agents publics qui ne manquent pas de raisons. Que faire ? Bienvenue dans ce troisième acte de notre série consacrée au devoir de réserve et à l’accès à l’information au Bénin.

«La loi dit que le fonctionnaire respecte les dispositions en matière de confidentialité. Mais dans certains bureaux, un ministre prend un arrêté pour dire que vous êtes astreint à ne pas faire tel ou tel. Mais, je dis que cette disposition interne tombe face à la loi en matière de presse pour le journaliste. Toute information qui n’est pas susceptible de mettre à mal la sécurité de l’État constitue une information utile pour le journaliste ». Propos de Guy-Constant Ehoumi, ex-président de l’Observatoire de Déontologie et d’Ethique dans les Médias (ODEM). Face à un refus de mettre à disposition une information, quelles sont les possibilités qui s’offrent au journaliste et aux citoyens ? A cette question, Guy-Constant Ehoumi, journaliste de formation et de profession se veut procédurier. Il fait en effet savoir que « si le journaliste voit qu’il y a manifestement une obstruction, il se retourne vers la HAAC qui est l’organe en charge de lui porter un appui. Il écrit à la HAAC pour se plaindre ». Se référant à cette étude de cas, la loi N°2015- 07 du 20 mars 2015 portant Code de l’information et de la communication en République du Bénin est, on ne peut plus claire, sur les voies de recours possibles en cas de refus d’accès à l’information.

La HAAC : le gendarme de l’accès à l’information …

« Le silence observé à l’issue des délais indiqués aux articles 80 et 81 vaut une décision implicite de rejet. Le demandeur qui entend contester une décision de rejet peut déposer une plainte auprès de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), dans les cinq (5) jours francs, à compter de la date de notification ou de constat de la décision implicite de rejet, sous peine de forclusion », stipule l’article 97 du Code de l’information. Rencontré à son bureau le 19 septembre 2019, à l’annexe de la HAAC, Soumanou Bio Séro, directeur des Affaires Juridiques de la Déontologie et du Contentieux (DAJDC) de la HAAC éclaire mieux sur cette disposition, exemple à l’appui. « Lorsque vous déposez votre demande mardi, vous commencez à compter les 5 jours francs. Le lendemain mercredi est le 1er jour et ainsi de suite jusqu’au mardi prochain qui est le 5ème jour, sans compter le week-end. Si le mardi vous n’obtenez pas de réponse, considérez cela comme un rejet implicite de votre demande. A partir de ce jour, vous avez cinq (5) jours pour introduire votre recours à la HAAC. Si vous ne le faites pas, vous êtes forclos, c’est-à-dire que vous perdez le droit de faire valoir votre recours. A partir de la réception de votre recours, la HAAC a un délai de 30 jours pour trancher. Le Code a voulu qu’il y ait une célérité dans le traitement du dossier, car l’information est une denrée périssable. Cela est valable pour le journaliste ou tout autre citoyen », informe l’homme de droit de la HAAC. Dans sa tenue décontractée, assis derrière son bureau où s’empilent les dossiers, le DAJDC lève un coin de voile sur le travail de la HAAC. « La HAAC interpelle la structure concernée par rapport au dossier. Elle lui demande les raisons de la non-satisfaction de la demande d’informations. Si les informations que vous demandez concernent les restrictions, il est compréhensible que l’administration ne vous donne pas les informations. La HAAC va alors confirmer la décision de refus », explique le DAJDC dans le cas d’informations sensibles. Pour ce qui concerne les autres catégories d’informations, il précise : « si la HAAC se rend compte que c’est un rejet fantaisiste, elle fait obligation à l’administration de vous fournir l’information ». Pour finir cette section sur les voies de recours, le législateur ajoute à l’article 107 : « si l’agent ou l’institution publique persiste dans son refus de satisfaire le demandeur, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication prend l’initiative d’une action en recours devant la juridiction administrative. Elle en informe aussitôt après le requérant qui peut lui-même prendre toute initiative pour le rétablissement de son droit ». Pour remuer le couteau dans la plaie, Guy-Constant Ehoumi renchérit : « S’il y a toujours obstruction, alors la HAAC engage la mesure de demande de sanction par rapport à l’agent. Elle engage la procédure par rapport à l’administration et devant les tribunaux ». Cela dit, le DAJDC de la HAAC a fait remarquer que la HAAC a traité de nombreux cas et les demandeurs ont eu gain de cause. Maintenant, qu’en est-il de l’expérience vécue par les professionnels des médias ?

Professionnels des médias, pressés par le temps …

Sur la multitude de professionnels des médias rencontrés, nous avons retenu certains d’entre eux qui parlent du travail de la HAAC. Ces impressions seront sous anonymat. Voici la question : face au blocage que vous observez dans la conduite de votre travail, pourquoi n’avez-vous pas fait recours à la HAAC ? Voici les réponses des professionnels des médias. Le premier « C’est ce que les textes disent, mais dans la réalité que pouvons-nous ? Quand tu as une investigation à faire et un délai à respecter tu ne perds pas ton temps à saisir une institution qui a également ses procédures sans compter la lourdeur administrative ». A un autre d’ajouter : « J’ai écouté quelques confrères, qui, ayant essuyé un refus, ont adressé des notifications à la HAAC, conformément au Code de l’information et de la communication, mais qui sont restés là, sans satisfaction pour tout le temps. Un comportement qui n’encourage pas aussi ceux-là à continuer de saisir la juridiction si elle ne répond pas favorablement au recours qui sont déposés devant elle ». A un dernier de répondre : « je n’ai pas jugé utile juste parce que pour un sujet d’enquête ou un dossier, c’est une question de temps. Une procédure devant la HAAC, par exemple, pourrait prendre plus de temps ». Penchons-nous du côté de l’administration.

Administration publique, vulgarisation des textes et décrets d’application toujours en attente …

Sur la question de l’accès à l’information, nous avons aussi posé la question à l’administration publique. Conseiller technique à la fonction publique et à la modernisation de la fonction publique au Ministère du Travail et de la Fonction Publique (MTFP), Prosper Koukoui informe qu’en la matière, il n’y a pas un ensemble de formalités qui soient codifiées. C’est la pratique qui définit. Au sujet du délai dans lequel l’administration met une information à disposition, le cadre chevronné et pièce maîtresse dans de nombreuses réformes ajoute : « si ce sont des informations simples, vous pouvez les avoir immédiatement. Si ce sont des informations sensibles et qui peuvent emmener un remous, qui ne peuvent pas être données facilement, vous devez suivre la procédure. Vous adressez un courrier au cadre qui est censé vous apporter l’information. S’il a le temps tout de suite, il vous reçoit. Si ce sont des informations qui demandent de faire des recherches, cela va prendre du temps ». Dernier aspect de la question, le délai de cinq (5) jours. A ce propos, Prosper Koukoui justifie : « il faut déjà que toutes les administrations soient informées. Que les décrets d’application viennent déterminer et que les procédures soient véritablement mises en place. Sinon, ça sera à la tête du client. C’est vrai qu’il y a les cinq (5) jours, mais quand l’information que vous demandez n’est pas disponible, les gens seront obligés d’aller au-delà. Donc, il faut que la demande vienne à temps afin que les agents concernés se préparent à donner les informations pour que les 5 jours soient respectés ». Dernière chose : que savez-vous des dispositions réglementaires en matière d’accès à l’information ? Réponse de Prosper Koukoui : « il y a le statut général, le Code du numérique. Je n’ai pas tellement fouillé le Code de l’information. Les lois sont prises, mais il y a une procédure par laquelle les décrets d’application, les actes réglementaires qui doivent déterminer les modalités d’application sont en train d’être prises de façon progressive ». Voilà qui relance une fois de plus, la question de la vulgarisation des textes en République du Bénin. La quatrième partie de cette investigation sur le devoir de réserve et l’accès à l’information fera la lumière sur la bataille entre ces deux aspects de la gestion de l’information et ce qu’il en est de la vulgarisation du Code de l’information.

Adjei KPONON

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