La deuxième génération du programme des cantines scolaires gouvernementales couvrant la période 2021-2026 entend enrôler plus d’écoles sur l’ensemble du territoire national. L’état des lieux de la première génération de cette expérience étatique (2017-2021) a laissé, par endroits, des failles même si elle a eu le mérite globalement de maintenir plus d’apprenants à l’école et d’offrir à chacun plus de chance d’avoir un repas par jour. Loin des séminaires et discours et pour contribuer à l’amélioration du dispositif mis en place autour des cantines scolaires gouvernementales, Educ’Action est descendu sur le terrain pour observer dans diverses écoles à cantine, écouter et échanger avec les parties prenantes à la base. Tout en saluant l’existant, ils espèrent plus d’efforts du gouvernement dans l’intérêt des enfants bénéficiaires et pour la bonne santé de l’école béninoise. Constat !
Nous sommes le vendredi 28 janvier 2022 à l’École maternelle primaire Towéta située dans la région pédagogique numéro 29. Il est 10 heures, un groupe d’hommes en uniforme vient de franchir le portail de cette école. Ils se dirigent vers la cuisine pour apprécier l’état des assiettes et autres ustensiles de cuisine utilisés pour la cuisson des repas. Ce sont des agents de la brigade professionnelle. Pas loin de la cuisine, se trouve la section des petits. Ici, les tout-petits, à cœur joie, délectent du « Atassi » (du riz mélangé à du haricot accompagné de friture, ndlr). Le repas des enfants est accompagné d’un œuf de caille. « Ces femmes restauratrices sont présentes avant mon arrivée. Elles font bien leur travail. Seulement, elles sont payées à un prix forfaitaire parce que nous n’avons pas les moyens. Nous épuisons les vivres mis à notre disposition au jour le jour. Chaque fois que les enfants sont à l’école, nous devons préparer pour les servir. Les choses se passent ainsi chez nous », confie à Educ’Action Donatienne Amoussou Azé, directrice de l’EMP Towéta. A l’en croire, les parents d’apprenants doivent contribuer à hauteur de 100 francs Cfa par jour. Dans cette école, les mets servis aux écoliers varient d’un jour à un autre. « Nous faisons du riz au gras, du pois jaune, de l’akassa, de la pâte de maïs accompagnée de la sauce, du Kom, etc. Nous varions les mets pour l’équilibre alimentaire des enfants », laisse entendre la directrice. Abordant la qualité des repas, la directrice témoigne : « lors de mes contrôles, je constate parfois que les mets sont un peu trop pimentés et j’attire l’attention des restauratrices. Ce sont des femmes engagées qui travaillent avec passion. » En dépit des efforts du gouvernement, les besoins demeurent, de l’avis de dame Donatienne. « Nous avons encore besoin du riz, de maïs, du pois jaune et du haricot. Nous voulons que des personnes de bonne volonté nous aident aussi à mieux payer ces femmes qui pour l’heure, sont sous-payées et elles le pensent elles-mêmes», déclare-t-elle.
De la collaboration souvent difficile entre membres du comité de gestion des cantines
C’est dans une atmosphère de repas prêts à être servis aux écoliers à la récréation que Educ’Action a foulé le sol de l’Ecole Primaire Publique (EPP) Ahossougbéta dans l’arondissement de Togba à Abomey-Calavi. Il est 11 heures 30 minutes, ce jeudi 27 janvier 2022. Gabriel Hodehoutou, directeur de l’école, s’apprête à goûter le plat témoin au menu avant le service. Sur la question de l’impact du programme des cantines scolaires gouvernementales, il répond en ces termes : « Pour les écoles publiques à cantines solaires, on peut dire que c’est un plus parce cela permet de maintenir effectivement les enfants à l’école. Les enfants qui, par le passé, doivent parcourir des kilomètres pour déjeuner chez eux à la maison, sont désormais maintenus à l’école et cela favorise le temps et les conditions d’apprentissage. Donc, c’est un projet qui n’est pas mal parce que cela accompagne véritablement les enfants ». Si jamais, on suspendait le programme, poursuit-t-il, cela va impacter négativement l’apprentissage en milieu scolaire. « Les parents accompagnent, hormis certains qui pensent que c’est la chose de l’État et que les enfants doivent manger même s’ils ne participent pas. D’autres parents estiment que c’est de l’argent public qu’il faut dépenser sans calcul. Parfois, leur décision s’impose à nous au sein du comité parce qu’ils font le nombre. J’ai connu un trimestre où j’ai subi leur pression d’achats tout azimut », déclare le directeur de l’EPP Ahossougbéta pour qui, la collaboration n’est pas toujours facile avec les membres du comité de gestion de la cantine scolaire.
Le recrutement des restauratrices, l’autre difficulté
Une autre difficulté liée à la gestion des cantines scolaires gouvernementales est l’indisponibilité des restauratrices. Gabriel Hodehoutou explique : « Les restauratrices sont des bonnes dames qui devraient venir spontanément de la communauté pour nous aider. Mais ce sont des gens qu’il faut forcément aller chercher et payer pour faire le travail parce que quand il y a bénévolat quelque part, les gens n’aiment pas s’approcher. Donc du coup, il faut aller chercher les désœuvrées, celles qui sont prêtes à faire le travail car les bonnes dames du milieu n’aiment pas faire le travail, estimant qu’il n’est pas bien rémunéré. »
À l’École Primaire Publique (EPP) de Toyoyomè qui est aussi bénéficiaire du programme des cantines scolaires gouvernementales, des difficultés s’observent également même si Juste Agbanglanon, maître secrétaire du comité de gestion de la cantine, reconnaît que l’arrivée de ce programme a fait croître l’effectif et maintenir les enfants à l’école. « L’État ne nous donne pas tout ce qu’il faut pour offrir un repas copieux et chaud aux enfants. Il va falloir mobiliser d’autres ressources auprès des parents d’élèves parce que les enseignants ne peuvent pas le faire à leur place. Cela constitue une grande difficulté à laquelle nous essayons de nous adapter », fait-il observer.
René Abissodou, directeur de l’EPP Toyoyomè, à propos des cantines scolaires : « Nous n’avons pas tout à notre disposition pour la gestion des cantines »
Tout en saluant l’institution du programme des cantines scolaires gouvernementales, le directeur de l’EPP Toyoyomè plaide pour plus d’efforts de la part des autorités afin de relever les défis qui s’imposent à eux dans le cadre de la gestion des cantines scolaires.
Educ’Action : Six (06) ans déjà que votre école bénéficie du programme des cantines scolaires gouvernementales. Quel bilan pouvez-vous faire de l’impact sur votre l’école ?
René Abissodou : Le bilan est élogieux parce que lorsque vous rentrez à Toyoyomè, on constate que, chaque année à l’inscription, l’effectif des élèves s’accroît, les enfants qui avaient abandonné et qui sont restés à la maison, ont repris et d’autres, que les parents avaient même envoyé au Nigéria, ont repris. Donc nous avons un effectif très élevé bien que notre école n’ait pas le module qu’il faut.
Avez-vous rencontré des difficultés ?
Oui, il y a eu assez de difficultés, mais il y en a une que nous souhaitons qu’on nous aide à corriger. C’est le temps que la gestion de la cantine prend chez les enseignants. Chaque matin, ce sont les enseignants qui se mettent à récupérer les sous chez les enfants et cela prend beaucoup de temps. Même s’il nous arrive de faire pression sur nous-mêmes pour finir la collecte des 50 francs chez les enfants tôt le matin, ce n’est pas toujours fameux. D’autres viennent lorsque vous avez fini de collecter auprès des tout premiers et ça s’enchaîne ainsi. Ce qui impacte négativement le déroulement des enseignements en classe. Donc si l’État peut recruter des gens pour s’occuper spécialement des cantines, cela soulagerait les enseignants qui pourront s’occuper à temps de leurs classes.
Le montant de 50 francs CFA imposé à ces enfants pour accéder aux repas est-il une initiative du gouvernement ?
Oui, c’est initié par le gouvernement. S’ils n’ont pas fait mention de cela, nous ne pourrons pas à notre tour l’imposer. Il est clairement dit que c’est l’enfant qui a payé, qui a droit au mangé.
Nous avons constaté que ce montant varie d’une école à une autre. Comment cela s’explique-t-il ?
Non ! Nous en tant qu’enseignant, nous ne pouvons pas unilatéralement fixer le coût de la cantine. Même s’il faut penser à cela, il va falloir que le comité de gestion s’asseye et qu’ensemble avec notre médiatrice et notre superviseur, on s’arrête un moment pour dire : « bon, ce que les enfants donnent ne permet pas de leur donner un repas copieux et bien assaisonné ». Cependant, jusque-là, c’est de commun accord avec les autorités en charge de la cantine que nous avons fixé le prix de 50 francs CFA aux élèves.
Quels sont les défis à relever pour cette deuxième génération du programme des cantines scolaires ?
Pour améliorer ce qui se fait, il faut que l’État repense autrement le programme. Nous n’avons pas tout à notre disposition pour la gestion des cantines. Chaque fois, il faut penser à comment s’approvisionner en condiments et tout. Si l’État pouvait aider la communauté à augmenter ce qu’elle donne, la cantine scolaire changerait un peu de visage. Nous ne disons pas que ce qui est là n’est pas bien, c’est bon ! Mais, il faut que l’État l’accompagne encore puisqu’on a dit, un repas chaud pour chaque enfant. Maintenant, la réalité est que tous les enfants ne mangent pas. Si tous les enfants ne mangent pas, alors c’est qu’il y a un problème. Les parents même se disent que l’État pouvait donner gratuitement sans que les enfants ne donnent de l’argent. Il y a des enfants qui nous disent que leurs parents ne leur ont pas donné de l’argent. Dans ce cas, que faisons-nous ? Donc, il va falloir que l’État aussi réfléchisse un peu dans ce sens pour que même si l’enfant ne donne pas, qu’il mange. Si l’enfant doit manger sans donner, c’est que l’État doit encore mettre la main à la poche.
Qu’avez-vous à dire pour conclure cet entretien ?
C’est de commencer à dire bravo au gouvernement d’avoir pensé à lancer le programme des cantines scolaires pour nos apprenants parce que cela permet réellement de les maintenir à l’école. Les parents sont aussi fiers parce qu’ils se disent que quand leurs enfants quittent la maison, cela fait à 17 heures ou à 17 heures 30 minutes avant qu’ils ne rentrent. Donc le parent est à l’aise, il peut vaquer à ses occupations et passer à 17 heures 30 minutes ou à 18 heures pour prendre son enfant. C’est déjà une bonne chose, mais il faut que l’État cherche maintenant à améliorer un peu ce qui se fait déjà.
Réalisation : Gloria ADJIVESSODE, Edouard KATCHIKPE & Enock GUIDJIME